Je vous présente Alexandre Postel, prof de lettres en prépa dans mon lycée et auteur d'Un homme effacé. ♡
Alexandre a d'ailleurs reçu le prix Goncourt du premier roman pour son livre en 2013! Il fait partie de ces collègues fort sympathiques, qui excellent dans leur domaine et qui en plus sont stylés et qu'on a toujours plaisir à retrouver à la machine à café! ♡
J'ai adoré son roman qui retrace l'histoire de Damien North, un homme effacé, prof d'université qui est accusé à tort d'avoir téléchargé des images à caractère pédopornographique. L'inculpé se sait innocent mais semble impuissant face aux preuves hébergées par la machine (l'ordinateur), aux témoignages accablants, aux fantasmes et aux désirs des autres... Quel sera le regard porté par cet homme sur lui-même et le regard de son entourage sur North après ces accusations? Peut-on être blanchi d'une telle accusation? Peut-on un jour être lavé de cette souillure? Peut-on tourner la page? Ce sont autant de questions que se posent l'auteur…
Autant vous dire que j'ai adoré ce livre! Il est très bien écrit et les images et métaphores sont sublimes! J'ai eu plaisir à lire aussi les passages liés à l'enseignement et au regard porté par le prof sur l'élève ou l'éducation. Voici un extrait choisi:
"Sophie le fixait sans broncher. Gêné, il déourna les yeux et s'aperçut que le store qu'il avait remonté jusqu'à mi-hauteur de la fenêtre ne pendait pas à l'horizontale mais s'affaissait un peu du côté droit, ce qui lui donnait la forme d'un couperet de guillotine. Il revint à son propos, qu'il convenait d'achever sur une note optimiste:
- Le but de ce genre d'exercice, c'est de vous apprendre à développer votre singularité, à aller au-delà de l'opinion reçue - de la doxa. Mais ça viendra, ne vous inquiétez pas. Je ne me fais aucun souci pour vous. Vous avez de grandes capacités."
Je vous invite donc à lire ce livre qui d'ailleurs sort en petit format ce mois-ci!
Ah, et Alexandre a accepté de répondre à quelques-unes de mes questions… Hum, je me rends compte que j'ai un peu abusé de son temps…
Quels sont tes auteurs préférés ? Pourquoi ?
Entre autres
Georges Simenon (moins les Maigret que ses autres romans dits
« durs », comme Les Fiançailles
de M. Hire, Le Bourgmestre de Furnes ou
La mort de Belle) : parce qu’il
a su évoquer avec beaucoup de force le sentiment de culpabilité ; parce
que ses romans sont, à leur manière, parfaitement construits et racontés, très
romanesques sans être naïfs pour autant ; et enfin parce qu’il n’est pas
étudié en classe, ce qui, pour le professeur de français que je suis, est très
reposant !
Sinon, peut-être à
cause de mes origines britanniques, j’ai une grande admiration pour les
romancières et romanciers anglais du 19ème siècle : les sœurs
Brontë, Dickens, Thomas Hardy…
Où trouves-tu ton inspiration ?
Je ne conçois pas l’écriture
en termes d’ « inspiration ». D’abord parce que je ne me sens
pas particulièrement inspiré ! Disons que, pour diverses raisons, je me
trouve disposé à écrire (ce qui est
un peu différent), et que j’ai la chance de pouvoir développer ces
dispositions. Ce qui me gêne aussi avec l’idée d’inspiration, c’est qu’elle
évoque un souffle créateur, une source unique, alors que dans mon
expérience la création ressemble davantage à la confection d’un nid qu’on
tresse avec les choses les plus disparates : un article de journal, une
conversation, un livre qui vous a frappé, un rêve, le souvenir d’un lieu, d’une
atmosphère…
Es-tu un homme effacé dans la vie ?
Je ne sais
pas ; en tout cas, on m’a appris qu’il n’était pas poli de trop parler de
soi, d’où la brièveté de ma réponse…
Qu’est-ce qui t’a amené à écrire Un homme effacé ?
Quelques faits
divers ont attiré mon attention sur le délit qui sert de point de départ au
roman ; à cette curiosité pour un phénomène contemporain s’est ajoutée
l’envie de raconter l’histoire d’un homme qui peu à peu s’enfonce dans la
solitude au point de douter de lui-même et de devenir, à ses propres yeux, une
énigme. Les faits qu’on reproche au personnage me semblaient propices à la mise
en scène d’une relation complexe à soi-même et à autrui — en d’autres termes, à
un roman.
Utilises-tu beaucoup internet pour te documenter, pour
lire, pour écrire, pour échanger ?
Je n’ai aucune
existence sociale sur internet, mais c’est évidemment un outil prodigieux :
toute personne aimant écrire devrait placer parmi ses favoris le Trésor de la langue française informatisé.
Combien de temps consacres-tu à l’écriture ?
L’écriture est-elle pour toi source de plaisir ? Peut-elle s’avérer
difficile ?
S’agissant du
temps, l’important — je parle pour
moi — n’est pas d’en avoir beaucoup mais souvent. Deux ou trois heures chaque
jour, c’est l’idéal. Au-delà, je deviens un peu stupide. En deçà, j’ai du mal à
installer la continuité nécessaire à l’écriture d’un roman. C’est dans ces
conditions que l’écriture peut rester un plaisir. Évidemment, il y a des difficultés, des obstacles, mais leur résolution
ou leur contournement procurent un plaisir très vif.
Quelles sont pour toi les conditions les plus favorables
à l’écriture ?
Le matin, chez moi.
Est-ce que le métier d’enseignant te permet d’appréhender
l’écriture différemment ?
Oui, bien sûr. À certains égards c’est une source d’embarras : les œuvres magnifiques
et pour la plupart anciennes qu’on étudie en classe peuvent inhiber
l’affirmation de soi (« tout est dit, à quoi bon ? ») et, de
manière plus pernicieuse, pousser à une répétition parfois stérile du
même : même façon de raconter une histoire, de conduire une phrase,
d’évoquer un personnage... D’un autre côté, les œuvres vraiment belles se
présentent à nous comme des invitations, des appels, si bien que comme
l’écrivait Proust chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de
soi-même : étudier ces œuvres en compagnie d’élèves ouverts et réceptifs constitue
de ce point de vue une grande chance.
Un exemple très
simple : la première phrase d’Un homme
effacé mentionne « l’épouvante et la honte » qui vont s’abattre
sur le personnage principal. Ces deux mots ne sont pas choisis au hasard :
l’épouvante provoque la terreur, le spectacle de la honte suscite la pitié. Or
terreur et pitié sont les deux émotions que devait produire, aux yeux des
Grecs, une tragédie. En évoquant « l’épouvante et la honte », je
suggère au lecteur qu’il va entrer dans un univers tragique, j’installe une
atmosphère tragique. Et je ne crois pas que le lecteur ait besoin de connaître
Sophocle et Aristote pour ressentir cette atmosphère : c’est quelque chose
qui flotte autour de ces mots comme un nuage. Mais moi, j’aurais eu plus de mal
à les trouver, ces deux mots, si je n’avais pas un peu étudié la tragédie
classique.
Que fais-tu de ton temps libre (mis à part l'écriture) ?
Essentiellement
regarder des films et des séries télévisées.
Quel est ton endroit préféré à Paris ?
J’aime bien les
endroits qu’évoquent les romans de Patrick Modiano, des espaces un peu étranges
: les environs de la Cité Universitaire, de la place d’Italie, la pagode de la
rue de Courcelles, la place des Ternes…
Je te remercie infiniment Alexandre. Je sais que tu travailles à la rédaction de ton prochain roman. J'ai hâte de le découvrir et je te souhaite d'accoucher de nombreux aussi beaux romans! ♡
Alexandre Postel - Un homme effacé - éditions Gallimard
4 commentaires:
Tu me tentes, tu en parles très bien
Bisous
C'est une très belle découverte et j'aime beaucoup cette petite interview qui nous permet de mieux découvrir l'auteur.
Merci pour cette présentation ma jolie et je te souhaite un bon weekend :)
Très sympathique petite interview. Le livre m'intrigue sur le coup!
Merci de partager cette rencontre. Un auteur à lire!
Bonne fin de week-end.
Bises
Do
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